Conseil d’État, 1ère – 4ème CR, 07 juillet 2021, n°440747

Nous voilà face à un contentieux dont l’une des particularités est de mettre en cause presque toute la palette de décisions qui peuvent être prises en matière d’accès au marché des spécialités pharmaceutiques – de l’AMM à la décision de prix.

En effet, par requête n°440747, un laboratoire pharmaceutique commercialisant des spécialités princeps a demandé au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir :

  • des décisions d’autorisation de mise sur le marché (AMM)  émanant de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)  concernant le « Propionate de Fluticasone/Salmétérol 100, 250 et 500 μg / 50 μg / dose, poudre pour inhalation en récipient unidose », spécialités d’un génériqueur ;
  • des décisions de l’ANSM identifiant lesdites spécialités comme génériques de plusieurs spécialités de référence, respectivement Seretide Diskus 100, 250 et 500μg /50 μg / dose, poudre pour inhalation en récipient unidose ;
  • la décision modifiant le répertoire des groupes génériques en ce qu’elle crée trois groupes génériques ayant pour spécialités de référence les spécialités  » Seretide Diskus  » et en ce qu’elle y inscrit les spécialités  » Propionate de Fluticasone/Salmétérol  » précitées comme génériques ;
  • la décision du Comité économique des produits de santé (CEPS) fixant les prix limites de vente au public des spécialités  » Propionate de Fluticasone/Salmétérol  » du génériqueur.

Ce litige a été l’occasion pour le Conseil d’Etat de redéfinir les lignes d’une frontière parfois trouble entre les notions d’hybride et générique au stade des procédures d’AMM et de l’identification en tant que générique au niveau national.

En effet, la pratique de l’ANSM consistant à inscrire une spécialité ayant fait l’objet d’une demande d’AMM hybride sur le répertoire des génériques est formellement sanctionnée par la Haute Juridiction.

Attention, effet domino garanti.

I. Questions préliminaires de procédure

L’arrêt commenté apporte deux clarifications de procédure importantes.

La première concerne la question du traitement de ces contentieux lorsqu’une décision individuelle et une décision règlementaire, étroitement liées, sont concernées (A).

La deuxième concerne le point de départ du délai de recours (B).

A.- Connexité des décisions attaquées

Initialement saisi, le Tribunal administratif de Lyon a renvoyé devant le Conseil d’Etat la requête tendant à l’annulation des décisions contestées.

Pour rappel, les décisions attaquées sont de nature différente :

 – AMM : décision administrative individuelle (CE, 1er août 2013, Société Sevene Pharma, req. n°359614) ;

– Identification de spécialités génériques : décision administrative individuelle (CE, 15 novembre 2009, req. 433009) ;

– Création de groupes génériques et inscription de spécialités génériques : décision administrative individuelle (CE, 15 novembre 2009, req. 433009) ;

– décision de fixation de prix : décision administrative règlementaire (Conseil d’État, 1ère / 6ème SSR, 30/12/2015, req.n° 375777 et CE, 3 mai 2004, Société Servier, req. n°257698).

Les articles L. 311-1 et R. 311-1 du Code de justice administrative (CJA) attribuent la compétence en premier ressort respectivement, pour la première catégorie, au tribunal administratif et pour la deuxième catégorie, au Conseil d’Etat.

La connexité des demandes a donc justifié le renvoi de l’entier litige au Conseil d’Etat dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice en application de l’article R.341-3 du Code de justice administrative (CJA).

Cette solution n’est pas isolée certes, mais elle a le mérite de statuer sur ces différentes catégories de décisions à l’occasion d’un seul et même litige.

B.- Définition du point de départ des délais de recours contentieux

Les défendeurs soulevaient la tardiveté des conclusions dirigées contre les décisions d’AMM, d’identification de spécialité générique et d’inscription au répertoire des groupes génériques.

A cet égard, les défendeurs faisaient valoir que les délais de recours contentieux devaient courir à compter de la réception par le requérant de l’information relative à la délivrance d’une AMM pour une spécialité générique (prévue à l’article R. 5121-5 du CSP) nonobstant l’absence de publication de la décision d’AMM.

Le Conseil d’Etat rappelle, en statuant sur la fin de non-recevoir opposée par les défendeurs, que seule la publication de la décision d’AMM de la spécialité et l’identifiant comme spécialité générique est de nature à faire courir le délai de recours contentieux (R. 5121-50 du CSP).

Constatant qu’à la date d’enregistrement de la requête introductive d’instance les décisions d’AMM et d’identification comme génériques n’avaient pas encore été publiées sur le site de l’ANSM, le Conseil d’Etat ne pouvait qu’écarter la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des requêtes. Le même constat a été fait concernant la décision d’inscription au répertoire des génériques.

II. Sur les autorisations de mise sur le marché des spécialités hybrides

La société requérante a en tout premier lieu, sollicité l’annulation des décisions d’AMM accordées pour les produits hybrides en cause.

La requérante estimait en effet que « les résultats des essais précliniques et cliniques appropriés » n’avaient pas été produits dans les dossiers de demande d’AMM hybrides et que de ce fait, les AMM encourraient l’annulation.

La question récurrente des essais précliniques et cliniques appropriés (re)fait surface dans ce contentieux.

En effet, c’est une question qui soulève de nombreuses interrogations au sein de certains laboratoires pharmaceutiques (pourquoi un produit obtient-il une AMM hybride alors même qu’a priori aucun essai pré-clinique et/ou clinique appropriée n’a été réalisé ?).

Rappelons que la Directive 2001/83/CE et le Code de la santé publique, prévoient la possibilité de fournir, dans certains cas précis, des dossiers de demande d’AMM allégés en particulier en présence d’une spécialité hybride telle que définie à l’article L.5121-1, 5°, c) du CSP.

Dans ce cas, au titre de l’article R. 5121-28, 2° du CSP, « le dossier fourni à l’appui de la demande comporte, outre les données chimiques, pharmaceutiques et biologiques, les résultats des essais précliniques et cliniques appropriés déterminés en fonction de ces différences ».

Dans son analyse, le rapporteur public constate que :

  • les défendeurs ont présenté des demandes d’AMM sur le fondement de la procédure hybride pour les mêmes indications thérapeutiques que les spécialités de référence ;
  • les dossiers d’AMM hybride concernaient des spécialités ayant la même forme pharmaceutique ainsi que la même composition qualitative et quantitative en princeps actifs que les spécialités de référence commercialisées par le requérant ;
  • le dossier ne comportait pas d’essais cliniques.

Si ce seul constat pourrait à première vue suffire à justifier l’annulation des AMM, en réalité, l’emploi de l’adjectif « approprié » vient changer la donne.

Ce terme accorde à l’autorité une latitude décisionnelle plus étendue dès lors que le caractère approprié relève de « l’appréciation scientifique » de l’autorité compétente (Lignes directrices de la Commission Européenne, Volume 2A- Chap. 1- 5.3.2.2).

Le rapporteur public explique d’ailleurs ce point en évoquant l’objet même de la réalisation de telles études (« vocation à éclairer scientifiquement les différences existant entre le princeps et l’hybride », Ccl. Rapp. Pub. M. Villette sous n° 440747) justifiant ainsi qu’elles ne constituent pas une « exigence formelle » dès lors que d’autres moyens permettent d’établir l’équivalence thérapeutique.

En l’espèce, il apparaît que la ligne directrice adoptée le 22 janvier 2009 relative aux exigences en matière de documentation clinique pour les produits inhalés par voie orale indiquait, s’agissant de la démonstration de l’équivalence thérapeutique entre deux produits inhalés  que,« le recours à des études in vitro [pré-cliniques] uniquement est une méthode acceptable » sous réserve qu’un certain nombre de conditions  figurant dans les lignes directrices soient remplies (ex. la substance active est déjà connue).

A défaut, le recours à des études in-vivo (cliniques) serait requis par cette même ligne directrice.

Jugeant ainsi que le dossier d’AMM était complet compte tenu de la présence d’études in vitro satisfaisantes, le Conseil d’Etat a rejeté les conclusions de la requérante contre les autorisations d’AMM.

Par conséquent, l’exigence d’études cliniques et pré-cliniques doit soigneusement être évaluée tant en amont de la demande d’AMM par les demandeurs qu’en aval, par les potentiels requérants car si dans cette espèce le dossier était bien complet, il existe des situations où des questions se posent, à juste titre.

III. Sur les décisions identifiant les spécialités hybrides comme génériques de plusieurs spécialités de référence et portant création de groupes génériques et inscription de spécialités hybrides

Tirant toutes les conséquences du constat de la validité des décisions d’AMM hybrides, le Conseil d’Etat sanctionne l’identification de spécialités hybrides comme génériques d’une spécialité de référence, faute pour elles de relever de la qualification de génériques au sens du code de la santé publique.

C’est donc en toute logique que les décisions d’identification, de création d’un groupe générique et d’inscription dans ledit groupe ont été tout simplement annulées par le Conseil d’Etat.

Notons par ailleurs que la définition des médicaments hybrides ainsi que la création d’un registre de groupes hybrides par l’article 66 de la LFSS pour 2019 exclut définitivement toute assimilation des hybrides aux génériques, quand bien même aucune étude de biodisponibilité n’aurait été fournie si le laboratoire s’était engagé sur une demande d’AMM générique avec dispense de biodisponibilité.

En effet, c’est ce qui était allégué par l’ANSM pour justifier l’identification et l’inscription au répertoire des groupes génériques.

L’ANSM s’est donc prévalu de l’apparente équivalence procédurale qui résultait dans ce cas précis d’une absence d’études de biodisponibilité au stade de la procédure d’autorisation – tel qu’identifié par l’encadré orange ci-dessous.

Or, comme le relève à juste titre le rapporteur public, dans la procédure générique, le défaut de production d’études de biodisponibilité relèvent de la dispense alors que dans la procédure hybride, cela relève de l’impossibilité d’en fournir.

L’argumentaire de l’ANSM ne tient donc pas aux yeux de la Haute Juridiction.

Nous rappelons que l’annulation d’une décision est rétroactive et qu’il faut par conséquent considérer que les spécialités hybrides n’ont jamais été identifiées comme génériques ni inscrites dans le répertoire des génériques.

IV. Sur la décision de fixation de prix des spécialités hybrides

La politique de fixation du prix des médicaments génériques répond à des critères bien précis figurant au sein de l’accord-cadre CEPS/LEEM, de la doctrine CEPS et pouvant fluctuer au gré des orientations ministérielles.

Celle des hybrides, est cependant moins documentée et encadrée.

Le rapport annuel du CEPS de septembre 2020 précise d’ailleurs à cet égard :

« Les médicaments bénéficiant d’une AMM hybride ne font pas l’objet de précision particulière dans l’accord-cadre. Le Comité a été amené à traiter plusieurs demandes de prix en 2019 pour lesquelles il a adopté une approche constante d’une décote de 30 % par rapport au prix net du médicament de référence ».

Le dernier accord-cadre signé le 5 mars 2021 entre le LEEM et le CEPS, postérieur au rapport précité, fait toutefois référence aux spécialités hybrides s’agissant seulement de la cohérence des prix (art. 18), disposition au demeurant également applicable aux génériques.

L’annulation des décisions de prix nous semble plus que prudente. En effet, l’identification ainsi que l’inscription au répertoire des génériques des spécialités en cause a très probablement exercé une influence sur les décisions de fixation de prix.

Le CEPS est-il allé jusqu’à appliquer le régime de fixation de prix des génériques ?  Nous ne le savons pas et la décision du Conseil d’Etat n’en dit pas plus à cet égard. Ne n’en savons pas davantage non plus sur la procédure d’évaluation des spécialités suivie pour ces hybrides identifiés comme génériques.

En conséquence, l’annulation de l’ensemble de ces décisions a pour effet d’écarter toute substitution et de priver les spécialités hybrides d’une composante indispensable à la commercialisation…. un prix.

Joyce Valencia

Avocat au Barreau de Paris