Par un recours en excès de pouvoir, le Groupe d’information et de soutien des immigré(e)s (GISTI) a demandé au Conseil d’Etat d’annuler la note d’actualité n°17/2017 de la division de l’expertise en fraude documentaire de la direction centrale de la police aux frontières du 1er décembre 2017 relative aux « fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil ».
La note d’actualité attaquée n’a a priori rien d’un acte administratif [1] faisant grief, seule catégorie d’actes pouvant en principe faire l’objet d’un recours en annulation devant le juge administratif.
Cet arrêt marque une évolution relative à la catégorie d’actes pouvant être déférés devant le juge de l’excès de pouvoir. Quelles perspectives pour le droit de la santé ?
Ainsi, les actes préparatoires, les avis, propositions et recommandations sont connus pour être exclus du contentieux de l’excès de pouvoir. Il en va de même des informations/renseignements, déclaration d’intention ou autres courriers, notes ou réponses de l’administration [2] et des réponses ministérielles aux questions parlementaires [3].
Tous ces actes concernent et surtout affectent très souvent les acteurs du droit de la santé lesquels font face à l’impossibilité de les contester dans la mesure où ils sont exclus de la catégorie d’actes attaquables devant le juge administratif.
Cette liste non exhaustive des actes insusceptibles de recours devant le juge de la légalité paraissait immuable. Or, le décompte des dernières évolutions jurisprudentielles contredit de plus en plus cette certitude :
« Les circulaires comportant une interprétation impérative à caractère général peuvent faire grief et par suite, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir » [4], s’agissant des délibérations du conseil d’administration du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante fixant un barème d’indemnisation des préjudices liés à l’amiante, l’administration pouvant y déroger au regard de considérations d’intérêt général ou des circonstances propres à chaque situation ;
« Les délibérations impératives du CSA énonçant les critères au regard desquels il entend apprécier le respect par les médias de leurs obligations en matière de pluralisme politique peuvent faire l’objet d’un recours » [5] ;
Les délibération du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) adoptant « un rapport comportant des recommandations à caractère impératif pour les médecins », eu égard au rôle particulier, à savoir disciplinaire, dévolu à cet organisme sont attaquables [6] ;
« Les avis de l’Autorité de la concurrence peuvent être des actes administratifs faisant grief » [7] ;
Le recommandations de bonnes pratiques en matière médicale et aux informations de pharmacovigilance [8] ;
S’agissant des avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation : « les actes de droit souple des autorités de régulation peuvent faire l’objet d’un recours pour excès notamment lorsqu’elles sont de nature à produire des effets notables, en particulier de nature économique, ou encore lorsqu’elles ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elles s’adressent » [9] ;
Application de la jurisprudence Fairvesta aux lignes directrices [10] ;
S’agissant des prises de position d’une « autorité administrative » de nature à produire des effets notables sur l’intéressée et « qui au demeurant sont susceptibles d’avoir une influence sur le comportement des personnes » [11] ;
S’agissant des recommandations de l’ANSM [12].
Le refus persistant du Conseil d’Etat de se prononcer sur les avis de la HAS relatifs aux demandes d’inscription d’une spécialité sur la liste des spécialités remboursables [13] est d’autant plus regrettable compte tenu de cette évolution. Les effets de certains des avis de la HAS produisent incontestablement des effets juridiques à l’égard des intéressées et des autorités administratives, dès lors qu’il ne peut être nié que dans la réalité, ils lient l’autorité .
Mais cette dernière décision du 12 juin 2020 laisse apercevoir une nouvelle lueur d’espoir pouvant influencer l’évolution des contentieux des actes de droit souple et dans un proche avenir, peut-être la possibilité de contester les avis de la HAS sous certaines conditions si l’évolution de la jurisprudence s’accélère.
En l’espèce, les questions posées par la requête GISTI justifiant l’examen de l’affaire par le Conseil d’Etat étaient les suivantes :
« 1) S’agissant des circulaires et autres documents de portée générale produits par l’administration pour ses besoins, tels que des lignes directrices, faut-il maintenir le critère de recevabilité du recours tenant à leur caractère impératif (CE, Section, 18 décembre 2002, n° 233618), qui exclut la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir contre les lignes directrices fixées par l’autorité administrative (CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, n° 254961) ?
2) En cas de réponse positive à la première question, quels sont alors les critères de justiciabilité des circulaires et autres documents de portée générale concernés ?
3) Quels moyens sont opérants contre les documents susceptibles d’être contestés ? Quel est le contrôle du juge sur ces documents ? » .
Le Conseil d’Etat répond clairement comme suit :
– « Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre ».
Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.
Il en résulte donc que la condition d’impérativité dont la conséquence est entrainement indiscutablement un effet juridique n’est plus indispensable dès lors que le document peut présenter le caractère de « ligne directrice ».
Le Conseil d’Etat se prononce ensuite sur l’office du juge :
« Il appartient au juge d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane » ;
« Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s’il fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en vue de la mise en oeuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure ».
Cette décision tend vers l’unification des régimes applicables aux contentieux de droit souple (circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétation et lignes directrices). Bien que la question posée au Conseil d’Etat ne soit en rien liée au droit de la santé, les effets de la solution retenue pourront lui être transposables en présence d’actes de droit souple remplissant les critères posés. Les perspectives sont ainsi ouvertes.
Notes de l’article:
[1] CE Ass. 17 fév. 1950, n° 86949, Dame Lamotte.
[2] CE, 10 janvier 2007, Syndicat national CGT du ministère des affaires étrangères, n° 270084, au Rec.
[3] CE, Section, 16 décembre 2005, Société Friadent France, n° 272618.
[4] CE 18 juin 1993, Institut français d’opinion publique (IFOP), n°137317,137369,137553 ; CE, Sect. 18 décembre 2002, n° 233618, Dame Duvignère, Conseil d’État 5 janvier 2005, n°261049, Mazzoni et CE , n°254961, 255376, 258342, Comité anti-amiante Jussieu et autres.
[5] CE, Ass., 8 avril 2009, n° 311136.
[6] CE, 17 novembre 2010, Syndicat français des ostéopathes, n° 332771.
[7] CE, 11 octobre 2012, n°357193, Société Casino Guichard-Perrachon.
[8] CE, 4 octobre 2013, Société Les Laboratoires Servier, n° 356700 ; CE, 27 avril 2011, Association pour une formation médicale indépendante (FORMINDEP), n° 334396 ; CE, 26 septembre 2005, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 270234.
[9] CE, Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et autres, n° 368082 ; CE, Ass., 21 mars 2016 Société Numéricable, n° 390023. [10] CE, 13 décembre 2017, Société Bouygues Télécom et autres, n° 401799-401830-401912.
[11] CE. Ass, 19 juillet 2019, n° 426389.
[12] CE, 4 décembre 2019, n° 416798.
[13] CE, 12 octobre 2009, Société Glaxosmithkline Biologicals et Société Laboratoire Glaxosmithkline, n° 322784 ; CE 17 novembre 2017,Société Laboratoires Abbvie n° 398573, 404459.